Départements et territoires d'outre-mort by Henri Gougaud

Départements et territoires d'outre-mort by Henri Gougaud

Auteur:Henri Gougaud [Gougaud, Henri]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions du Seuil
Publié: 2016-01-17T23:00:00+00:00


Le chat

* * *

Je m’appelle Forg. J’habite Ameland, une île. L’odeur de vos cigares, monsieur, et la coupe de votre costume me disent que vous êtes un grand voyageur. Mais connaissez-vous Texel, Tescherling, Ameland, Scheirmonnikoog ? Ils font à l’oreille une très mélancolique chanson, ces noms-là. Ce sont des îles, au plus bas des Pays-Bas, jetées en quarantaine en pleine mer du Nord. Nul n’y pose le pied par aventure ou par plaisir. On y travaille durement et on y vit par habitude, et à vous voir, monsieur, vous semblez ne pas ignorer qu’il est des cages plus dorées que la nôtre, sur cette Terre.

Tout est gris et froid, chez nous. Gris le ciel, grise la houle contre les roches grises, grise l’herbe rare sur les falaises, comme l’épaisse fumée des barques de pêche qui sentent la rouille et le sel. Etonnez-vous après cela que Mangus, notre fou, s’enferme volontiers dans la fumée de sa pipe en rêvant d’une Sainte Vierge aux seins rouges et au nombril orné d’un somptueux diamant. Le vent seul connaît tous ses délires.

Car il est très étonnant, le vent d’Ameland. Il gonfle le cœur et l’emporte au large. Bien sûr, notre île compte quelques chemins et quelques hameaux. Mais comment creuser les fondations d’une âme d’homme sur ce bout du monde ? Le vent, je vous dis, le vent ne le veut pas, et la brume non plus, qu’elle monte des pots de bière brune ou du bouillonnement glacial des rochers.

C’est pourquoi, monsieur, nous, les hommes vivants d’Ameland, nous voyageons beaucoup. Et quand nous posons le pied sur quelque terre ferme, Harlingen, Amsterdam, Gravenhage, je vous jure bien que nous passons quelques nuits à nous taper sur les cuisses et à gueuler par tous les pores : « Dieu du ciel que c’est beau d’ouvrir des fenêtres qui ne donnent pas sur la mer et de rouler dans la chaleur des foules ! »

Et puis nous revenons. Car il est solide le cordon ombilical qui nous tient à nos brumes. Nous revenons accrocher aux murs de nos maisons quelque chose d’ailleurs, une carte postale, un calendrier, quelque chose. Et cela fait le pas gaillard de reconnaître le bon vieux chemin, cela fait du bien de caresser de l’œil la colline ronde comme la croupe d’un animal familier. Chacun a besoin de venir reprendre sa place, de temps en temps, dans un décor que l’on sait immuable. On croit mieux, ainsi, à l’éternité.

Je revenais donc, la veille de Noël, l’an dernier. Il faisait épaissement nuit quand nous touchâmes terre. Un étranger n’aurait pas distingué la lueur du phare de Nes, pourtant peu éloigné. En descendant de la barque, ce soir-là, je ne m’attardai pas à vider la chope avec les camarades. Cela m’aurait fait l’âme lourde de voir les vieux solitaires de chez Gohr solidement amarrés à leur pot de bière dans l’espoir de passer sans trop de détresse le cap du réveillon. Et puis ma femme et mon gosse m’attendaient, là-haut. Je leur avais rapporté



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